VENISE
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 Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges

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Gabriella Delmonti
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Raffaele di Grazziano
Frère du Prince - Ca'Grazziano
Raffaele di Grazziano


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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleDim 21 Jan - 2:08

Le regard fixé sur le visage de l'aristocrate, à l'abri de la toile lui rendant le canal invisible, Raffaele pouvait respirer plus calmement. Peu à peu, il se détendit et si le roulis était toujours perceptible qui crispait sa main sur le montant de bois, les couleurs revenaient peu à peu sur son visage.

"Un bal et maintenant un cercle de jeu ? Vous me gâtez Monsieur di Lorio. Il se peut qu'à vous fréquenter, je trouve plus de charme à cette cité que je ne m'y attendais à premiere vue. Jouez-vous vous-même ou êtes-vous seulement amusé par l'observation des joueurs et par ce que l'on trouve de distractions étonnantes dans ce genre de lieux ?"

A regarder Luciano, le jeune prince avait du mal à l'imaginer victime de la fièvre qui s'emparait des habitués des cercles de jeu. Un homme de sa détermination ne devait certainement pas s'exposer au hasard. Son oeil pétilla à l'évocation de l'affrontement qui les avait opposés au Florian. Le ruban lentement offert comme appat attira son regard qui se troubla. Il aurait été tenté de s'essayer à le reprendre mais sa main crispée le faisait souffrir et il n'était pas disposé à perdre la partie par la faute d'une si petite blessure.

"Quant à mon estime. Il est rare que je l'accorde."

Certes les mots, assortis du regard par en dessous qui les accompagnait, pouvaient avoir quelque chose d'offensant malgré le ton doux sur lequel ils avaient été énoncés. Mais Raffaele n'avait pas pour habitude de flatter ses interlocuteurs, qu'ils lui fussent agréables ou pas. Et Luciano n'échapperait pas aux piques qu'il déciderait de lancer ; qu'elles soient acérées ou non dépendait de nombre de facteurs différents dont l'humeur du jeune prince. Et son humeur à cet instant précis était fortement dégradée par les conditions du voyage.

La barque cependant se rapprochait du quai. Etaient-ils déjà arrivés à destination ? Il n'avait aucune idée de la rapidité de ce mode de transport ni de la distance qui séparait la Place St Marc de la Calle Trevisi.
Le jeune prince eut un soupir de soulagement quand l'embarcation se rangea lentement le long de la rive pour enfin s'immobiliser. Il se pencha en avant pour mieux voir où ils se trouvaient
.

"Sommes-nous arrivés ?"

Il n'osa pas se lever et préféra attendre la réponse à sa question plutôt que de risquer de glisser à nouveau sur les planches humides du petit bateau.

[Calle Trevisi]
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Luciano di Lorio
Ami de la Famille Adorasti - Ca'Adorasti
Luciano di Lorio


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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleJeu 1 Fév - 15:42

La proposition d’emprunter une embarcation munie d’un toit avait été judicieuse puisque déjà, Raffaele, privé de la vision des eaux mouvantes, semblait-il se porter mieux. Considérant le nombre de fois où le serveur avait resservi son compagnon, Luciano avait craint quelques débordements des moins agréables de sa part. Le charme indéniable du jouvenceau en aurait été inévitablement amoindri, le noble ne se sentant pas d’humeur à essuyer plus de ses épanchements. Si renverser une table dans un café bondé lui paraissait toujours acceptable, il ne faisait pas preuve de la même indulgence envers d’autres gestes, aussi excusables soient-ils.

« Je dois admettre qu’il me plaît de voir des fortunes s’écrouler sous mes yeux en l’espace de quelques instants. On en apprend également beaucoup en observant un homme devant sa main, tout particulièrement ceux passés maîtres dans l’art de la tromperie. Je ne joue moi-même que lorsque les mises sont assez élevées pour que je prenne part à la partie. Il n’y a aucun plaisir lorsque les gains comme les pertes ne sont point importantes pour chaque parti. »

Loin de se laisser désarçonner par la réplique frisant l’impudence de son interlocuteur, il lui répondit, son habituel sourire complaisant aux lèvres :

« Ce ne sera donc qu’un plus grand honneur que de l’acquérir, Monsieur Scaligeri. »

Ses doigts s’enroulèrent délicatement autour du poignet fin du jeune homme pour inspecter la paume blessée. Quelle paire de chiffonniers formaient-ils avec leurs mains ensanglantées! Ses visées épicuriennes ne seraient pas entravées par cette infirmité temporaire, leur inventivité respective palliant probablement à ce léger contretemps.

« Si ni le vin, ni le périple en gondole et ni ma garde bienveillante n’arrivent à soulager votre mal, veillez à rendre visite au successeur de Maître Trevisano, un certain Barrozi, si ma mémoire est bonne. »

Sa mémoire lui faisait rarement défaut, certainement parce qu’il l’avait exercé sans cesse dans ses jeux mondains d’ouï-dire et de paroles répétées à voix basse. Il lui aurait de toute façon été difficile d’oublier ce fossile, disciple de Gargantua qui, à lui seul, aurait pu faire vivre le Caffé Florian. Une moue de dégoût retroussa ses lèvres à l’évocation de cette figure avinée, toujours trop proche, susurrant des perfidies de toute sorte. Sa disparition dans de malencontreuses circonstances avait été une véritable bénédiction pour la ville et l’aristocrate ne regrettait nullement son ancien médecin, souvent par trop inquisiteur.

« Sans doute que feu Maître Trevisano aurait été ravi de vous avoir comme patient… et sans doute que cet enthousiasme n’aurait pas été réciproque. Notre bon praticien était de ces individus qui attirent les accidents regrettables de par leur prévenance à assurer le bien-être de leur entourage. »

Un coup d’œil lancé hors de l’abri lui permit de constater que leur croisière touchait à sa fin, l’interrogation pleine d’espoirs de son compagnon le lui confirmant. Posant une main contre l’épaule de son cadet pour lui indiquer de se montrer patient, il attendit que la barque ait été bien amarrée pour se relever et avancer jusqu’à la proue.

« Cette fois-ci, ne sautez surtout pas, » le prévint-il, se remémorant la chute dans le canal qui avait failli se produire par son empressement à le rejoindre dans le bateau.

Revenu sur la terre ferme, il se tourna vers l’éphèbe attentif, lui tendant sa main valide pour lui assurer une prise solide. Raffaele avait réalisé l’effort louable de la poursuivre la traversée sans plus s’agiter, ne lui restait qu’un pas à franchir pour que se terminent ses supplices.

[Calle Trevisi]
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Brunilde Gurrieri
Comtesse - Ca'Adorasti
Brunilde Gurrieri


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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleJeu 31 Mai - 22:35

[Premier post]

Un haut ciel strié de raies blanchâtres pour célébrer son jour de sortie, le premier qu'elle s'était accordé sans être soumise à la moindre contrainte. Brunilde, dont quelques mèches brunes bataillaient au gré du vent, sentait se heurter sur son visage la délicieuse effervescence qu'était celle de Saint-Marc. Elle gesticulait sans arrêt, causant un large ballottement de la gondole dans laquelle elle se trouvait, ce qui suscitait, au passage, une grande inquiétude chez Linda, sa jeune servante à la chevelure bouclée et flamboyante. Nonobstant les geignements de cette dernière, Brunilde, emmitouflée dans une mante qui arborait une subtile teinte verte, témoignait de son excitation par d'autres mouvements brusques, les sourcils haussés d'admiration. Elle frétillait d'impatience que de sentir ses souliers marteler le sol de cette superbe rive, sol qu'elle n'avait jamais battu auparavant, ou si peu. Elle n'en avait du moins aucun souvenir. C'est d'ailleurs en voyant celui-ci s'approcher que la Comtesse daigna enfin mettre un terme à son agitation enfantine, grisée de sentir le bois de la barque se heurter contre la pierre qui supporterait bientôt son poids. Ses yeux s'éclairèrent, et un hurlement silencieux mourut au fond de sa gorge. Malhabilement, elle se redressa, prenant tout de même garde à ne pas laisser tomber son ombrelle dans son élan de maladresse, alors que le gondolier, déjà sur la terre ferme, lui présentait une main puissante et assurée.

« Ma Dame ! Votre canne ! »

Remarque quelque peu tardive de la part de sa servante, car Brunilde s'était déjà emparée de la poigne du jeune homme, pour poser son pied sur le bord de la barque et enfin gagner la rive. Le gondolier grimaça, Linda, ayant de justesse échappé à la baignade mortelle, se redressait tant bien que mal, canne en main. Parce que cela n'avait rien de nouveau, la Comtesse, aussi charmante fut-elle, ne parvint jamais, et ceci durant vingt-quatre ans, à sortir convenablement d'une gondole, manquant à chaque fois de la renverser, elle, ainsi que ses passagers.

Machinalement, Brunilde abandonna quelques pièces au gondolier, qui s'avérait, visiblement, plus qu'impatient de repartir en compagnie d'autres clients, tandis qu'elle priait sa servante de se hâter. Linda rejoignit sa maîtresse sans tarder, qui lui pris aussitôt la canne des mains, sans manquer de la gratifier d'un vague « merci ». La servante semblait sceptique, il arrivait toujours la même chose lorsqu'il s'agissait d'emprunter une gondole, et qui savait quelle allait être la fois de trop ! La Comtesse Gurrieri, en opposition à la majorité de la gent féminine, ne possédait pas cette aisance, elle n'avait pas la grâce des mouvements. Sans conteste une participation indiscrète et maladroite du reste du corps qui lui avait fait défaut jusque là, mais Brunilde, en bonne femme désinvolte qu'elle était, n'y attachait pas la moindre importance.

Pressant fermement l'extrémité de sa canne entre ses doigts, la Comtesse, ses yeux clos, leva le bout du nez, langoureusement bercée par la joie du triomphe et de la liberté...


« Vous savez, Linda... », commença t-elle, « ... Je suis fort aise du départ de Monsieur. Nous ne sortions que très peu lorsqu'il était présent, n'est-ce pas ? »

« Oui, ma Dame. », s'enquit la servante, davantage préoccupée d'approuver sa maîtresse, plutôt que de partager ses pensées. Elle perçut d'ailleurs un « cela était peut-être mieux, après tout », mais elle ne chercha pas à comprendre la signification de ces paroles et emboîta le pas à sa maîtresse, qui venait tout juste d'engager la marche. Les yeux éclatants de la Comtesse se mirent à fureter à droite et à gauche, alors qu’elle avançait sans prendre garde à bousculer les gens (ils n’avaient qu’à s’écarter à son passage, que diantre !). Mais cette précipitation eut vite fait de séparer Brunilde et Linda, qui, désormais loin derrière, demandait aux passants s'ils n'avaient pas, par hasard, aperçu sa maîtresse dans la cohue.

« Non, vraiment, quelle idée pour un homme d'être aussi répugnant ! »

Brunilde, à présent éloignée de l'agitation et persuadée qu'elle était écoutée, perpétuait son monologue, alors qu'elle longeait la façade arrière du Palais des Doges. Le rouge lui montait déjà aux joues, essoufflée par sa course, elle, femme comprimée dans son corset qu'elle était.

« Linda, m'écoutez-vous ? »

La Comtesse se retourna vivement, pour ne tomber que sur quelques personnes, mais nullement celle qu'elle cherchait. Une moue boudeuse se dessina sur son visage, contrariée de ne pas avoir été suivie par sa servante. Sans chercher à le réprimer, un long soupir franchit la limite de ses lèvres, alors qu'elle posait son regard sur une petite marche non loin de là. Elle s'y rendit d'un pas lourd, et s'affala littéralement dessus, l'épaule gauche tombante, mais la droite soutenant toujours le poids de l'ombrelle.

*Allons, un peu de repos ne fait jamais de mal...*

Et ce fut à cet instant que la Comtesse bailla en toute élégance, sans chercher à masquer sa parfaite dentition d'une main ou quoi que ce soit d'autre.


Dernière édition par le Sam 2 Juin - 22:28, édité 1 fois
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Danilo della Lonza
Gentilhomme - Ca'Adorasti
Danilo della Lonza


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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleSam 2 Juin - 18:28

[La Maison du Médecin - Etage Inférieur - Le Salon-Bibliothèque]

Alors qu’il marchait avec vivacité, le musicien s’était adonné à l’une de ses activités préférées, après la rêvasserie : la contemplation discrète des visages féminins. Il aimait passer en coup de vent à côté d’une Dame ou d’une souillon aux traits plutôt avantageux, ne se donnant qu’un coup d’œil pour la cerner, puis reconstruire l’image dans son esprit pendant que la créature en question s’éloignait.

Délaissant les nobles guindées et les bourgeoises surchargées de bijoux, il s’attarda sur des visages que beaucoup trouveraient banals, et dans lesquels dormaient une beauté insoupçonnée, la beauté de la personne comme tout le monde et possédant une petite pointe de charme qui faisait tout de même la différence. Le commun était souvent plus charmant que le royal et le hautain, plus direct, plus naturel. Ce qui ne l’empêchait bien entendu pas de tomber régulièrement sous la coupe d’un port de reine.

Il rencontra plusieurs minois charmants, un visage affolant et une figure ensorcelante. Pour s’arrêter sur une incongruité. Généralement, une beauté sans pareil savait lui faire tourner la tête plus que de coutume, pouvait l’obliger à la suivre du regard quelque temps, mais il ne s’arrêtait que rarement. Il n’aimait pas aborder les femmes, et préférait être présenté à elles. Mais, là, c’était différent.

La dame était belle, cela ne faisait aucun doute. Elle était noble, ceci très certainement, au vu de ses vêtements. Et se comportait d’une manière qui ne faisait pas vraiment honneur à son rang. Il la vit s’abattre sur la marche avec une délicatesse très contestable, avant de bailler sans politesse.

La femme semblait avoir perdu quelqu’un, à ce qu’il pouvait en juger.

Chevelure brune aux reflets roux, bien. Jolie… non, très jolie nuque. Oui, parce qu’enfin, une belle nuque, il n’y avait que cela de vrai. Poitrine discrète, bien. Les plantureuses étaient ennuyeuses au lit, cela n’était pas mignon et faisait des mouvements qui déconcentraient par trop. Lèvres pulpeuses à souhait, teint frais, parfait, parfait. Taille séduisante. Petitesse bien dessinée. Il aurait pu l’intégrer comme une autre à son petit jeu. Mais non.

Tout cela, tout ce joli était contrebalancé par la manière lourdaude dont la dame s’était affalée sur la marche. Elle était redevenue un objet de curiosité et non d’intérêt mâle par ce simple état de fait. Et pourtant, ce fut cela même qui le poussa à s’arrêter, au lieu de garder son visage en tête en continuant de marcher, comme à son habitude. C’était la noble aux manières étranges qui l’intéressait maintenant.

Il resta à l’écart de la jeune dame, s’arrangeant pour l’observer sans en avoir l’air, comme un promeneur fourbu qui s’arrête quelques instants pour souffler. Il s’autorisait quelques coups d’œil très discrets vers elle de temps en temps. Juste par curiosité, il avait envie d’en voir plus sur cette dame sans manières.
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Brunilde Gurrieri
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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleSam 2 Juin - 22:36

Brunilde avait laissé sa canne rouler à côté d'elle, plus qu'ennuyée par la situation. Non pas qu'une solitude de courte durée l'eût dérangée, bien au contraire, mais le simple fait de savoir sa servante seule -et probablement en train de la chercher- suffisait à perturber son monde de jeune originale. Ses yeux, d'abord comme fous, s'étaient progressivement ternis pour venir se fixer sur le bout rond de ses souliers, qu'elle agitait nonchalamment, leur accordant alors un intérêt inusité.

« Ma chère, trop chère Linda... »

La Comtesse saisit l'arête de son nez entre son pouce et son index, agitant la tête, signe que l'agacement commençait sérieusement à la gagner. Elle mâchouillait farouchement l'intérieur de sa joue, transformant sa bouche en une perle bien ronde et rosée, tandis que ses paupières papillonnaient frénétiquement, témoignant de sa réflexion sur l'attitude à adopter. Brunilde conserva cette position durant quelques minutes, mais le soleil mourait déjà sur la lagune, et la peau assombrie de la Comtesse la rappela à l'ordre. Car loin d'elle l'idée de prendre racine sur cette marche, aussi se redressa-t-elle brusquement, s'emparant de sa canne, sur laquelle elle ne tarda pas à s'appuyer pour retrouver un certain équilibre. Les deux mains occupées, ce fut à cet instant là qu'elle regretta amèrement l'absence de Linda, alors que son regard se posait sur le bas froissé de sa mante. Voyez-vous, la jeune femme l'aurait volontiers lissé... Juste un peu. S'imposa à elle un cruel dilemme : déposer son ombrelle ainsi que sa canne contre un mur dans le but de se redonner de l'allure, ou ne rien déposer du tout et faire fi des éventuels regards dédaigneux qu'on lui adresserait alors, en la voyant ainsi vêtue. Fidèle à elle-même, Brunilde opta pour la seconde solution, nullement préoccupée par ce que quelques passants inconnus penseraient de sa personne. Ou presque. La Comtesse ne savait pas si celui-ci était inconnu, mais une chose restait sûre, elle se demanda s'il l'avait aperçue dans son attitude relâchée. Trop éloignée pour correctement le détailler et éventuellement le reconnaître, elle ne discerna que la grande taille de cet homme, ainsi que sa silhouette élancée. Peut-être serait-il en mesure de la renseigner sur Linda ?

Sans plus attendre, Brunilde s'avança vers lui, aussi rapidement que ses jambes le lui permirent, remarquant au passage que la figure de l'homme ne lui était aucunement familière. Depuis le temps qu'il se trouvait là, il ne semblait pas avoir remarqué la Comtesse. Et à bien y réfléchir, il avait fallu un bon moment à cette dernière pour enfin se rendre compte de sa présence. Enfin soit, il était temps de causer.

Brunilde s'éclaircit la gorge :


« Pardonnez-moi, monsieur, et permettez que je vous dérange à l'ombre de quelques minutes. Je cherche ma servante, malencontreusement égarée dans la foule. Une jeune rousse à la chevelure bouclée, plus grande que moi, aux yeux plutôt clairs et certainement affolée de ne plus me trouver. Si par hasard vous l'auriez aperçue... »

La jeune femme, après un regard jeté à droite et à gauche, afin de voir si sa servante n'était pas apparue par quelque miracle que ce soit, reporta son attention sur l'homme et ébaucha un faible sourire, probablement inspiré par un désir de courtoisie -ou tout simplement par l'élégant physique de cet inconnu- , attendant patiemment sa réponse.
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Danilo della Lonza
Gentilhomme - Ca'Adorasti
Danilo della Lonza


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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleLun 4 Juin - 18:39

Eh bien, eh bien, cela ne s’arrangeait visiblement pas. La dame lui rappelait étrangement le comportement des petites filles de famille bourgeoise qui fouillent dans les vêtements de leur mère et jouent aux duchesses, aux baronnes aux princesses, aux vicomtesses, mais tout de même plus souvent aux princesses. Comme s’il lui manquait cette grâce qui ne s’acquiert qu’avec l’âge, qui commence à poindre chez les filles de bonne condition vers les dix ou les douze ans.

N’aurait été son accoutrement, il n’aurait sans doute pas tiqué sur ses manières sensiblement peu aériennes. Chez une fille du cru, cela aurait même pu lui plaire, de manière passagère. Mais la mise noble de la dame jurait par trop. Tiens, cela aurait été amusant de l’entendre parler. Pour voir où en étaient ses manières verbales.

Oh, mais elle le regardait. Il fit comme s’il ne l’avait pas vue, tant qu’elle ne s’approcha pas. Ce que finalement, elle fit -sans avoir remis son vêtement en état, d’ailleurs- pour son plus grand plaisir.


*A l’ombre de quelques minutes ? Allons bon, le temps se transforme déjà en pins parasols. L’entretien commence fort bien. *

Ainsi donc, il avait vu juste. Elle avait bien perdu quelqu’un. Sa servante. Celle qui aurait dû remettre son vêtement en forme, sans doute. Une jeune et grande rousse à la chevelure bouclée et aux yeux clairs… Comment pouvait-on perdre ce genre de personne ? Cela ne se faisait pas, enfin. Sauf s’il s’agissait de laiderons idiots, bien évidemment. Mais dans ce cas là on ne les cherchait pas, après. A la rigueur, on les fuyait.

S’il avait croisé une telle personne, nul doute qu’elle lui serait restée à l’esprit.

Il répondit doucement au sourire discret -d’ailleurs assez mignon, moins décalé que sa conduite précédente- de la dame, se carra un peu plus sur sa canne, et prit la parole d’un ton doux et chaud :


« Je crains de ne pouvoir vous renseigner, ma Dame. Je doute d’avoir croisé la personne que vous évoquez. »

Il changea doucement la position de sa main gantée sur le pommeau d’argent.
« Détrompez-moi si je fais fausse route, mais vous me semblez quelque peu perdue. Ne pouvez-vous pas simplement rentrer chez vous et attendre là-bas que votre servante vous rejoigne, plutôt que de la chercher ainsi dans les rues de la Sérénissime ? Le soir tombe déjà… »

Petit sourire charmeur.

« Si je puis vous être utile en quoi que ce soit, ce serait avec grand plaisir. »

*Et beaucoup d’amusement, sans doutes*
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Linda Gi
Invité




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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleLun 4 Juin - 23:04

[Premier post]

Soudainement, Linda ne vit plus sa Comtesse. Il fallut qu'une famille lui passât sous le nez pour qu'elle la perdît de vue ; n'eût-elle pas révassé un court instant avant, sans doute n'eût-elle pas été si loin derrière ensuite. Affolée de cette perte, la jeune servante se mit à questionner tous les passants : « Auriez-vous vu une dame, plus petite que moi, brune, avec une ombrelle et les cheveux d'un seul côté du cou ?! » Certains l'ignorèrent simplement, d'autres lui répondirent sincèrement qu'ils ne savaient pas, et des derniers l'insultèrent, savamment ou pas, les pires la traitant de « vulgaire souillon », certainement du fait qu'elle était des plus échevelées et ne portait pas le moindre bijou, rien d'autre n'ayant pu mieux justifier cette insulte : en effet, elle portait des vêtements propres – une robe bleue aux épaules dénudées, entre autres – et était elle-même propre !

*Ma Dame, ma Dame...*

« A quoi donc pensiez-vous ?! », miaula-t-elle toute seule, alors qu'elle remontait un peu plus la rue. Ses mains la rendaient mal à l'aise : elles n'avaient de cesse de s'agiter, convulsées par cette déception, cette colère envers la nonchalance de sa maîtresse, – non point qu'elle la détestait totalement, mais il fallait parfois l'admettre comme étant des plus ennuyeuses ! – tant et si bien que Linda, comme à son habitude, s'en tritura sa tignasse écarlate, la décoiffant plus qu'elle ne l'était alors.

Tandis qu'elle se faisait quelques ridules autour des lèvres à force de grimacer, Linda ne vit pas la paire de dames qui arrivait vers elle, bavardant, et en percuta une de plein fouet ; elle en tomba sur les fesses (là où l'autre fut rattrapée par sa compagne) et sous les jurons de sa victime. Rouge comme le crépuscule, elle se releva mollement, épousseta sa robe et balbutia, ses doigts enlacés :


« Veuillez m'excuser, mesdames, je...
— Vous allez bien ?, s'enquit celle qui n'avait rien subi. Vous êtes toute pâle...
— Je... je cherche ma maîtresse. U-une petite dame, de votre taille (elle indiqua celle qu'elle venait de bousculer), vêtue de vert, et... et...
— Nous avons croisé une dame qui pestait seule..., commença-t-elle en lançant un regard amusée à son amie, peut-être était-ce votre maîtresse ? » Les yeux de Linda s'agrandirent brutalement, et son sourire revint presque, boutant hors de son visage ces ridules qui s'y étaient logées. « Elle est un peu plus loin, par là, allez-y !
— Mille fois merci, mesdames ! Encore désolée ! » Quoi qu'elles dirent ensuite, elle ne l'entendit pas : les mains relevant ses jupons, elle était partie de suite au pas de course.

*À nous deux !*

Linda ne s'arrêta que lorsqu'elle vit, à quelques dizaines de pieds d'elle, sa Dame en compagnie d'un géant d'homme, de noir vêtu, appuyé sur une canne. Intriguée, elle s'approcha – non plus en courant, mais en pressant tout de même – et, une fois un peu plus près, elle put discerner le visage aimable de l'homme ; au moins, elle se rassura qu'il ne fût pas une espèce de gredin, quoiqu'elle eût bien sûr entendu parler de nombreux vilains charismatiques ou, au pire, aimables.

*Curieux bonhomme, tout de même, ce grand gaillard ! Je me demande ce qu'il peut bien lui vouloir, à ma Dame...*

À moins de quatre pieds, les sourcils froncés, Linda s'écria : « Ma Dame ! » suffisamment fort pour que celle-ci se détournât de l'objet de son attention – à savoir cet homme étrange – et la regardât d'un air surpris, mais enchanté. Néanmoins, à Linda de continuer : « Je me suis fait un sang d'encre ! Vous auriez pu faire attention ! », ignorant l'inconnu de la plus belle des manières qui soit.
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Brunilde Gurrieri
Comtesse - Ca'Adorasti
Brunilde Gurrieri


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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleMar 5 Juin - 6:00

Les secondes qui s'écoulèrent, avant qu'un sourire ne vînt ponctuer le visage de l'inconnu, parurent être une éternité pour la Comtesse. Son regard s'accrochait désespérément à cette bouche qu'elle rêvait de voir ouverte, pour en entendre s'échapper une réponse, positive au possible, si bien qu'elle ne releva pas le charme dont étaient munies ses lèvres. La voix qui retentit ensuite eut bien fait d'être suavement voilée, sans quoi Brunilde se serait probablement abandonnée à une mine renfrognée, contrariée de n'avoir obtenu aucune information sur sa servante égarée. Ce qu'elle retint de la tirade suivante ? Des bribes. La Comtesse avait posé sur l'homme un regard empreint d'une profonde réflexion et ce fut inconsciemment qu'elle reconstitua ses paroles, du moins approximativement.

« Perdue ? Non voyons, ma servante l'est, mais pas moi ! »

Brunilde s'agita, offrant de temps à autre la vue de son profil à son interlocuteur : elle cherchait toujours sa chère Linda, mais ne cessait pas pour autant de causer. Les sourcils froncés concomitant à un front raviné, elle poursuivit :

« Et sachez qu'il serait irrecevable, aussi bien pour ma servante que pour moi, de nous séparer de quelque façon que ce soit pour rejoindre notre résidence, notamment suite à une mésaventure aussi regrettable que celle-ci. »

Elle eut bien envie de se gratter l'arrière du crâne. Une voix lui susurrait prudemment à l'oreille que l'homme en face d'elle n'était, de prime abord, qu'animé par une simple bonne volonté. En l'occurrence, elle ne pouvait se résoudre à ne pas saluer cette dernière. Rapidement, son visage fut vierge de tout stigmate de la contrariété, pour laisser place à un second sourire, cette fois davantage ancré dans ses traits. Cette aisance à changer d'expression comme de chemise aurait pu paraître déconcertante, mais une fois n'était pas coutume, la Comtesse aimait dévoiler plusieurs de ses incertaines facettes, et ceci souvent dans un laps de temps très court.

Ainsi, sa voix délicate se mit en devoir d'apaiser quelque impression de colère :


« Enfin... Je me montre bien désagréable à votre égard, monsieur. Peut-être pourriez-vous en ef... »

Mais une puissante apostrophe balaya subitement toutes les formulations bienveillantes destinées à l'interlocuteur de Brunilde. Prestement, elle fit volte-face et accueillit -certes de loin, mais tout de même- sa servante d'une mine ravie, agréablement surprise que celle-ci l'eût finalement retrouvée. Déjà, une lueur d'indicible folie, peut-être enfantine, tournoyait dans son regard à la vue de Linda et de sa farouche chevelure qui la caractérisait si bien, et alors que la Comtesse se pensait libre d'enchaîner sur ces retrouvailles, elle ne put que rester immobile, bouche ouverte, par ailleurs frustrée de n'avoir pu laisser échapper le moindre son. Les sourcils haut perchés sur son front, Brunilde se contenta de subir le sermon de sa servante, ne trouvant pas la force, ni le désir, d'un instant la contredire. Seulement lorsque cette dernière eut terminé, l'ont put voir la bouche de la Comtesse se refermer, pour ne laisser apparaître qu'une mince fente noire. A vrai dire, il s'agissait de regarder un peu plus haut. Peut-être son nez ? Non, ses yeux. Légèrement plissés, ils scrutaient Linda d'une malice presque fauve ; malice qui s'était manifestée à l'insu de l'homme, alors dans le dos de la Comtesse.

« L'art de se faufiler partout, très chère... Ou de tout bousculer sur son passage, enfin soit. Bien évidemment, des jambes de femmelette ne vous suffiront pas à suivre votre maîtresse, aujourd'hui grisée de la liberté qu'elle s'est vue at... Mais attendez un peu... »

Brunilde se maudit intérieurement d'avoir oublié sa présence, même pour un court moment. En une fraction de seconde, elle lui faisait déjà face, tapotant paisiblement l'extrémité de sa canne à l'aide de ses doigts.

« Ma chère amie, j'oubliais... Voici un monsieur dont je n'ai pas encore eu l'honneur de connaître le nom. »

La Comtesse adressa à l'inconnu un sourire engageant, avant d'inviter Linda, restée en retrait, à la rejoindre. Elle ne s'offusquait aucunement du caractère singulier de la situation et traîtait sa servante comme si elle eut été une vieille et agréable connaissance, qu'elle se serait plue à garder à ses côtés durant une vingtaine d'années, voire peut-être pour toujours ? Un nouveau sourire, cette fois peut-être évasif, alors qu'elle introduisait le seul objet de ses pensées :

« Et afin de suivre le bon exemple, monsieur, je vous présente Linda Ginesio, ma servante. Quant à moi... »

Elle marqua une courte pause, pour ensuite reprendre, en s'inclinant respectueusement :

« Je suis la Comtesse Brunilde Gurrieri. Enchantée. »
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Danilo della Lonza
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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleJeu 7 Juin - 14:27

Agitée. Contrariée. La dame ne sembla pas de prime abord chercher l’amabilité. A vrai dire, elle semblait ne pas y penser, mais d’une manière naturelle, pas par omission volontaire. Bien sûr, le musicien se garda bien de s’en offusquer. D’ailleurs, grand bien lui en prit. Le revirement que son interlocutrice effectua alors valait son pesant d’or.

Elle avait dû se rendre compte qu’elle se montrait impolie, et venait de sauter d’une attitude à l’autre, l’expression soucieuse et légèrement courroucée laissant place à un visage des plus aimables. Il ne sut trop déterminer s’il était déçu qu’elle se montre aussi habile à changer de visage alors qu’il attendait plus de maladresse, ou si tout au contraire il lui en porter plus d’estime qu’il ne l’avait fait jusqu’à présent. Bah, ce n’était pas sur quelques mots qu’il pourrait bien cerner la jeune femme. Surtout si, comme elle semblait le lui montrait, elle pouvait changer d’humeur en un très court instant.

Elle reprit la parole, d’une manière beaucoup plus aimable. Pendant qu’elle parlait, Danilo aperçut quelque chose qui ressemblait fort à la description sommaire de la servante venir sur eux. Il n’eut pas le temps d’avertir son interlocutrice de l’arrivée, bien qu’il ait à moitié ouvert la bouche. La servante fut plus rapide, et apostropha sa maîtresse.

Pendant que les deux femmes échangeaient quelques mots, il la détailla avec discrétion, prenant tout son temps. C’était une belle femme, plutôt grande. La chevelure flamboyante en bataille lui donnait un aspect un peu fou, mais pas déplaisant du tout. Elle était habillée joliment, sa robe révélant des épaules des plus charmantes. Le musicien déplora seulement qu’elle n’ait pas les yeux bleus -le roux allait très bien avec une couleur marine teintant les iris.

Il n’aurait pas abordé sa maîtresse pour rien, somme toute. Il aurait déjà gagné une belle image pour sa collection personnelle.


« Danilo della Lonza, gentilhomme et claveciniste, pour vous servir, gentes dames. », répondit-il avec une légère courbette galante lorsque la dame le présenta sans pouvoir donner son nom.

La jeune femme présenta sa servante en premier lieu, ce qui ne manqua pas d’étonner le musicien. D’ailleurs, en y faisant un peu attention, il remarquait qu’elles ne se comportaient pas comme le font habituellement maîtres et serviteurs, il manquait de la distance et de la froideur dans leurs relations apparentes. Cela non plus n’était pas pour lui déplaire. C’était quelque peu ennuyeux, d’ailleurs, lui qui s’était persuadé qu’il y avait de quoi rire dans cette Brunilde. Certes, elle manquait beaucoup de grâce et avait tout de même dit eux phrases aux tournures quelque peu douteuses, mais au fond elle ne manquait pas d’intérêt.

« Enchanté, Comtesse. Brunilde, dites-vous… Auriez-vous quelque origine française, par le plus grand des hasards ? »

Même s’il l’avait laissée pour Venise et qu’il ne comptait pas y retourner avant au moins quelques années, la France restait sa véritable patrie. Rencontrer des françaises ou des italiennes passées par la France lui faisait toujours grand plaisir. Tout indice abondant dans ce sens à propos d’un interlocuteur le pousserait certainement à s’enquérir de la sorte pendant encore longtemps.

« Si je puis vous être agréable de quelque manière, je suis votre serviteur. Je m’en allais chez moi pour me changer avant le bal de ce soir, mais je peux bien retarder cette tâche de quelques instants pour une rencontre aussi plaisante. »
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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleSam 9 Juin - 1:41

La Comtesse, après quelque remontrance plus ou moins bien sentie, présenta Linda à l'inconnu – en fait un certain della Lonza pour lequel elle s'inclina galamment sans mot dire – puis se présenta elle-même. Alors qu'il dit quelques mots à l'attention de sa maîtresse – pourquoi diable un gentilhomme irait-il de toute façon s'adresser à une servante –, Linda restait immobile, n'osant que promener son regard ci et là, ne quittant plus d'une semelle la Comtesse. Elle se plut à imaginer cet homme jouer un bel air sur lequel elle aurait pu fredonner quelques paroles ; cela lui manquait un peu de ne plus entendre de musique ! La dernière fois ? Elle ne s'en souvenait guère : les derniers jours, les dernières semaines, furent éprouvants et certainement pas propices aux belles mélodies.

*Hélas, mille fois hélas...*

Baladant toujours ses yeux sur le décor, voilà que Linda tomba par hasard sur ceux de leur interlocuteur privilégié ; elle mit du coeur à essayer d'en percer le vouloir, la signification. Un oiseau ! Ce qui l'aida à fuir son regard soudainement passé de la Comtesse à elle. Le visage tout empli de chaleur, Linda plaignit en son coeur cette audace qu'elle avait de constamment fixer les personnes, ce sans qu'elle ne pût supporter l'être ! Un jour qu'elle avoua ceci à sa Dame, celle-ci s'en moqua, et la discussion n'alla jamais vraiment plus loin. Brutalement, le mot "bal" sonna : sans n'avoir écouté quoi que ce soit de leur conversation, Linda s'empressa de couper sa maîtresse pour lui murmurer qu'elles feraient mieux de se dépêcher de rentrer au Palais pour avoir le temps d'aller à la fameuse fête.
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Brunilde Gurrieri
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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleSam 9 Juin - 20:17

Gentilhomme... Claveciniste... Danilo della Lonza... Brunilde se surprit à s'attarder sur ce nom, plus qu'elle ne l'aurait fait avec n'importe quel autre, pour peu que celui-ci fût inconnu. Un nom qu'elle jura avoir entendu dans un passé plutôt lointain, du temps où son époux – en réalité, futur époux à cette époque, Brunilde ne dépassant pas les onze printemps, tandis que lui en comptait déjà vingt-six - lui pesait encore cruellement sur le dos, tout en fréquentant de nombreux salons, n'excluant pas ceux des autres villes d'Italie. Oui, doucement, son image se dessinait dans l'esprit de la Comtesse, lui et ses lèvres pâteuses, ce soir là imbibées d'alcool – traumatisme de petite fille, sans doute -, qui lui vantait les mérites d'un musicien... Dans quelle ville, déjà ? Elle ne put mettre le doigt dessus, mais sa certitude quant au prénom persistait, il s'agissait de ce même homme qui se tenait devant elle, du moins possédait-il le même nom et jouait-il du même instrument. Quant à savoir pourquoi ce nom-ci lui était resté ancré dans l'esprit... Oh, eh bien... Certainement son époux l'avait-il de nouveau évoqué dans les années qui suivirent.

Emportée par un élan de curiosité, la Comtesse, repoussant à plus tard les précisions sur ses propres origines, interrogea le gentilhomme avec enthousiasme :


« Claveciniste... Votre nom me rappelle un vague souvenir, je jurerais l'avoir déjà entendu. Jouiez-vous dans les salons, autrefois ? »

Brunilde, l'esprit ailleurs, ne soupçonnait pas que sa supposition pût susciter quelque interrogation. En effet, elle était à l'époque beaucoup trop jeune pour occuper ce genre de lieu. Encore que l'homme ne semblait guère très âgé non plus, seul son bouc le "trahissait ".

Puis, sa réflexion vint se poser sur ce prénom auquel elle répondait. Brunilde. Un sourire étira les lèvres de la Comtesse qui constatait avec amusement qu'elle n'en connaissait pas l'origine. Elle savait seulement qu'il demeurait totalement étranger à Venise, mais personne ne lui en avait jamais fait la remarque.


« Origine française ? », commença-t-elle. Son sourire s'élargit. « Nullement. »

La nuit à présent tombée, elle abaissa son ombrelle et un léger craquement émana de son coude ankylosé.

« Je suis née à Venise et n'ai jamais daigné la quitter. Néanmoins, il est fort possible que mon Père ait trouvé l'inspiration lors d'un voyage... Pourquoi pas en France. »

Car son Père, contrairement à elle, avait foulé un bon nombre de sols étrangers lors de sa jeunesse. La France en faisait bien entendu partie. Comment le savait-elle ? De son ancienne servante, Clio, qui lui avait conté ces quelques aventures, alors que le Père en question reposait paisiblement – ou pas – six pieds sous terre.
Quant à Danilo ? Celui-ci avait-il un quelconque lien avec la France ? La Comtesse omit de lui retourner la question, elle n'eut même pas le loisir de parler à nouveau que Linda lui rappelait l'événement du soir. Celle-ci la priait discrètement de se presser, tandis que le gentilhomme assurait qu'il n'y avait pas tant d'urgence qu'il n'y paraissait. Brunilde eut un rire nerveux « Ha ha ha... Ha ha... Ha... Ha. », ce genre de rire décontenancé qui s'accompagnait généralement de quelques rougeurs aux joues. Mais elle se reprit, pour chuchoter à sa servante :


« Allons ma chère, un léger retard ne tuera personne. Et puis, je suppose que vous avez entendu, mais cet homme est claveciniste. Vous savez parfaitement que je porte grand intérêt à votre voix... »

La Comtesse gratifia Linda d'un regard presque moqueur, sachant pertinemment que celle-ci n'allait pas agréer l'audace de sa maîtresse. Et pour ainsi dire, Brunilde n'hésita pas une seconde :

« Monsieur della Lonza... », fit-elle en se retournant vers le gentilhomme, « Je suis moi-même enchantée de notre rencontre, et il va de soi que les invités du bal pourront attendre. Cependant, quelque chose chez vous attise grandement ma curiosité. Vous êtes claveciniste, tandis que ma servante s'est vue attribuer par la nature un timbre de voix plus qu'agréable... »

Elle se tut, laissant Danilo deviner la suite. Brunilde arborait un air bienveillant, totalement inoffensif, alors qu'elle jubilait intérieurement à la seule pensée de voir Linda accompagnée d'un musicien. Elle espérait ardemment que le claveciniste ici présent avait correctement cerné son désir de le voir jouer auprès de sa servante. Lui qui voulait se montrer agréable...

Et peut-être pour se racheter après un tel coup bas infligé à Linda, elle ajouta :


« Concernant le bal... Je ne sais pas... Où habitez-vous ? Peut-être est-ce sur le même chemin que le nôtre, nous pourrions gagner un peu de temps en discutant sur la route. Ma servante et moi occupons actuellement une suite au sein de la Ca'Adorasti. »
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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleJeu 14 Juin - 16:13

Le musicien fut très surpris que la jeune dame connaisse son nom, même d’une manière diffuse. Après tout, il n’avait plus dû être souvent le sujet des conversations à Florence après son départ. A l’époque, elle devait avoir quoi ? Huit… non, plutôt dix ou douze ans, en fait. Non, finalement, c’était possible, mais elle avait franchement bonne mémoire si c’était le cas. Lui n’avait gardé aucun souvenir du nom pourtant peu commun de Gurrieri.

« J’ai joué plusieurs années dans les salons florentins, aventure qui a pris fin il y a maintenant une douzaine d’années de cela. J’ai joué en France par la suite, mais si là n’est pas votre pays natal, je me dois de vous complimenter pour la fraîcheur de vos souvenirs. »

Danilo observa la… Servante, puisqu’elle était censée en être une, couper sa maîtresse en chuchotant -ce qui se révélait être quelque peu grossier. Mais Danilo ne s’en inquiéta pas, il pardonnait aisément aux visages charmants. Les deux femmes échangèrent une discrètement une réplique chacune, la comtesse prenant un air non dénué d’espièglerie, puis Brunilde se tourna vers lui et répondit de manière fort civile. Il eut un sourire ravi lorsqu’elle lui parla des talents de chanteuse de sa servante, avec l’intention évidente de lui demander de jouer avec elle -même si elle ne l’explicitait pas, c’était flagrant.
C’était inespéré. Une belle voix dans un beau corps. Manquait une personnalité qu’il n’avait pas encore pu cerner, mais une telle ouverture lui donnerait sans doute le temps de combler cette lacune. Et plus si affinités, peut-être. Enfin, c’était la deuxième femme d’intérêt de la journée, avec la charmante Gabriella. Mais Linda avait l’avantage de moins ressembler à Mathilde que cette dernière. Ce qui n’était franchement pas un mal.


« Je serais charmé d’accompagner mademoiselle Ginesio au clavecin, une belle voix est toujours source de plaisir pour le mélomane. »

Le nom Ca’Adorasti surgit soudain des lèvres de la comtesse. C’était une aubaine, encore une fois. Le sourire du musicien s’agrandit encore un peu, ses lèvres s’affinant au passage. Il répliqua, s’adressant aux deux femmes à la fois.

« Figurez-vous que je suis fraîchement arrivé à Venise sur l’invitation de votre hôte, le prince Elio Lacryma Adorasti. Notre chemin est le même puisque nos suites sont sous le même toit. Je n’ai pas encore pu découvrir l’instrument du palais, mais je me ferais une joie de l’apprivoiser pour vous, n’en doutez pas. Nous pourrons discuter sans perdre de temps ; la chance fait parfois bien les choses. »

Parfois. Et cette gueuse est particulièrement capricieuse. Il se gardait bien d’espérer quoi que ce soit de la simple chance. S’il n’en avait pas manqué dans son existence, il avait eu à subir quelques revers qui l’avaient définitivement dégoûté de la croyance en un destin rose. Plus jamais il ne se laisserait aller à laisser les choses se passer, en priant pour que le sort l’épargne. Les cartomanciennes, adieu, les mystiques, adieu. Dieu existait, il en était persuadé, mais il ne devait pas se pencher sur le sort d’hommes aussi insignifiants que lui. Puisque le Seigneur n’était pas avec lui, il ne se fierait pas au hasard comme il se fierait à Dieu, comme il s’était fié à lui en pensant que son destin intéressait l’Eternel. Il avait compris que le destin n’était rien d’autre que l’emboîtement aveugle d’évènements jetés au hasard, et non une série d’épreuves, de punitions et de récompenses divines. Le Tout-puissant n’avait rien à voir avec son existence pourrie. Dieu avait créé le monde, et le laissait tourner.

Le pianiste ne laissa pas cet écart de pensée transparaître sur son visage. Il était aimable, ce n’était pas le moment d’avoir l’air amer et désabusé. Ils se mirent à marcher en direction de la Ca’Adorasti, lui marchant au niveau des deux femme. Il parlait à Brunilde, tout en observant à la dérobée, comme il savait bien le faire, le flot roux qui dévalaient en cascade la nuque de Linda.

« D’où connaissez-vous les Adorasti ? Je ne crois pas avoir le souvenir d’avoir entendu votre nom auparavant, lorsque je résidais encore à Florence aux côtés du Prince Andrea. Mais ma mémoire s’accroche plus aux notes qu’aux noms, je me dois de vous l’avouer. »

Il acheva sa phrase sur un ton de plaisanterie légère. A vrai dire, il avait une meilleure mémoire que ce qu’il voulait bien avouer. Seulement, il était trop jeune, et trop occupé par ses propres obsessions pour s’intéresser franchement à tous ce qui avait pu passer dans le palais florentin et qui ne portait pas jupons ni l’âge de la première floraison. Et Brunilde était alors sans doute bien trop jeune pour lui faire tourner la tête de ses notes, de ses amours et de ses haines, si elle avait jamais été là.
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Brunilde Gurrieri
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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleVen 6 Juil - 20:15

Ainsi le calcul de Brunilde s'avérait juste. Douze années. Le manque de réaction de Linda quant à l'initiative de sa maîtresse ne parvint pas à tirer celle-ci de sa rêverie, elle marchait près de sa servante, Danilo à leurs côtés et rassemblait quelques bribes supplémentaires de souvenirs. L'extrémité de son ombrelle retenue du bout des doigts, elle la faisait danser à diverses allures, chacune représentative de ce que suscitaient en elle ces images du passé ; roue lente et paisible pour un doux sourire sur ses lèvres, roue rapide et violente pour une goutte glacée le long de son échine. Ce ne fut que lorsque sa canne heurta une dalle plus indisciplinée que les autres que la Comtesse s'extirpa de son nuage brumeux. Les yeux d'abord agités, elle en posa ensuite de plus calmes sur Danilo et lui sourit tout en l'écoutant. En effet, il était plus que nécessaire de parler de chance dans une telle situation, Brunilde n'aurait pu espérer mieux, un claveciniste serviable qui ne semblait pas s'arrêter à la classe sociale de ceux qu'il accompagnait...

« Cela fait longtemps que je cherche une personne comme vous, monsieur della Lonza. Je vous remercie et me réjouis à l'avance d'écouter votre performance... »

La Comtesse détourna de nouveau le regard pour se concentrer sur une chevelure flamboyante encore plus agitée qu'à l'accoutumée et embrassa finalement le visage de Linda que la perplexité déformait d'un rictus étonnant. Sa servante ne la regardait pas, semblant plutôt égarée dans une profonde réflexion, sans chercher le moindre appui auprès de Brunilde qui arqua par conséquent un sourcil.
Lèvres pincées et agacée d'être ignorante, elle saisit Linda par le poignet et força son arrêt, s'excusant au passage auprès de Danilo, tout en relevant sa question sur ses liens avec les Adorasti. Question à laquelle Brunilde répondrait plus tard. En attendant, elle interrogea sa servante discrètement, certaine que son état n'était pas dû à une quelconque nervosité face à sa prochaine prestation en compagnie du claveciniste. Et la Comtesse visa juste.
« Oh oui... Cela m'était complètement sorti de la tête... ». Paroles indiscernables, Brunilde retint en prime un juron, alors qu'elle raclait nerveusement le sol avec sa canne, en quête d'une solution. Maladroitement, elle cala cette même canne sous le bras qui retenait son ombrelle afin de sortir une petite bourse brune qu'elle abandonna à sa servante, et reprit d'une voix plus claire, de manière à se faire entendre de Danilo :

« Monsieur della Lonza et moi marcherons jusqu'au palais, quant à vous, faîtes vite et empruntez une barque pour rentrer. Avec un peu de chance, vous nous rattraperez... »

Un regard bienveillant, une courbette, bientôt la servante ne fut plus à portée de vue des deux nobles. Brunilde reprit sa canne en main et fit face au claveciniste :

« Je vous prie de m'excuser. Il ne s'agit que d'une petite course, mais qui possède tout de même son degré d'importance. »

La Comtesse arbora une mine confuse, gênée de ce changement de programme, mais surtout, désarçonnée par une anxiété qui l'enveloppait doucement. Savoir Linda seule à cette heure ne l'enchantait guère, même si elle n'en avait pas eu le choix, et elle espérait la voir rapidement de retour auprès d'eux. Enfin...

« Hem, où en étions-nous... Ah oui ! Vous me demandiez comment je connaissais les Adorasti... Eh bien pour tout vous avouer, je ne les connais pas tant que ça, seulement le Prince Elio qui m'a... qui m'a... »

Brunilde fronça les sourcils. Quelle idée pour une langue d'être capricieuse dans un moment pareil ?

« ... Rendu un grand service, dirons-nous. »

*Et depuis, je vis au palais pour lui témoigner de ma reconnaissance ? Lorsqu'il s'agit d'être grossier...*

Intérieurement, la Comtesse eut un rire amer. Reconnaissante certes, mais elle n'allait pas dévoiler au claveciniste la réalité des choses, qu'à l'époque, elle-même n'avait demandé aucun détail sur ce service que le Prince lui avait si aimablement rendu, sa joie ayant momentanément comblé sa soif d'interrogations, pour ensuite la planter violemment face à sa réelle position dans l'histoire. Évitant de suivre pour ainsi dire une certaine logique, elle n'évoqua pas son époux et le laissa tranquillement là où il se trouvait.

« Mais vous qui êtes allé en France, comment était-ce, là-bas ? »

Ce pays vu par d'autres yeux que ceux de son père, cela ne faisait jamais de mal de connaître des versions différentes, hein ? Ne surtout pas relever en cette question une pathétique tentative d'écarter l'attention d'elle...

[Ca'Adorasti]
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MessageSujet: Re: Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges   Rive du Grand Canal devant le Palais des Doges - Page 2 PerleMer 15 Aoû - 18:01

Drôle de manège que celui de la comtesse et de sa servante. Il sentait toujours cette sorte de proximité entre elles. Brunilde se vexait un peu de n’avoir pas l’attention de la jolie rousse, mais elle ne se fâchait pas contre elle, pas plus que celle-ci ne s’en excusait. Ceci, d’une manière toute naturelles. Elles auraient été amies plus que l’une au service de l’autre cela n’aurait rien eu d’étonnant. Situation intrigante et intéressant fortement le pianiste.

« Vous êtes toute excusée, madame Gurrieri. Je m’en voudrais d’entraver par trop la bonne marche de vos affaires. »

Il écouta la comtesse raconter, d’une manière des plus vagues, les rares liens qui la rattachaient aux Adorasti. Évidemment, être proche d’Elio, quel que fut le… Service dont il était question, c’était être proche de la famille. Une histoire de dette, forcément. Elle restait sans doute Ca’Adorasti à cause de cela. Au moins, par reconnaissance. Au pire, parce qu’on attendait quelque chose d’elle en retour. Un belle créature en danger ? Pourquoi pas, cela pourrait être amusant. Et au moins avait-elle le goût de la musique, à défaut de grâce. Mais tout de même, manquer de grâce, c’était triste. Mais si l’histoire était assez romanesque, cela lui suffirait sans doute pour se prendre au jeu du chevalier servant. Enfin, cela dépendrait de l’histoire et de ce que la jeune femme voudrait bien en raconter.

*Il faudrait tout de même que j’arrête un peu de fantasmer. Je ne suis pas venu ici pour recommencer une quelconque histoire de femme.*

La France revenait dans la conversation, avant qu’il ait pu questionner plus avant s’il en avait eu la volonté. Ce qui n’était pas le cas, car il savait tout de même être délicat. Cependant, cela confirmait une chose: tout ça n’était pas particulièrement avouable. C’était d’autant plus intéressant. Les femmes secrètes au lourd passé ont un certain charme… enfin, pas physique mais, plutôt une aura. Cela pouvait compenser, à la rigueur.

Il parla, d‘une voix éloignée, le regard un peu dans le vide. Le ton était un peu rêveur, un peu amer.


« La France, chère comtesse… est un pays de souvenirs. On y laisse son ancienne peau en y entrant, on oublie ce qui nous a fait jusqu’ici. On y vit suffisamment pour remplir la mémoire, jusqu’à saturation, jusqu’à ce qu’on n’en puisse plus, et qu’on la fuie. Mais on ne l’abandonne pas en fuyant, elle reste toujours là, au fond de nous. C’est un pays de merveilles éphémères, qui naissent plus belles que toutes choses sur cette terre, et disparaissent brutalement, ne vivant plus que dans l’âme des poètes. »

*Suis-je un poète, ma mie ? Ou ne suis-je qu’un vulgaire écrivaillon, couchant des mots qui ne feront pas date ? Est-ce que je t’oublierai pour une autre sirène ? Je suis déjà sali, je suis traître à l’amour que je dis te porter. Irais-je m’abaisser jusqu’à être heureux dans les bras d’une autre? Ton souvenir qui vit en moi est la dernière chose de bien qui soit en moi. Ne me laisse pas te fuir.*

Il resta quelques instants, les mains croisées derrière le dos, les yeux vagabonds fuyant une confrontation directe avec ceux de la jeune femme, de peur qu’on pût y lire trop de choses. Ses réflexions n’appartenaient qu’à lui. A moins, peut-être, que quelqu‘un doté d’une nuque charmante et d’un visage doux n’aie envie de partager ses secrets avec lui. En attendant, il préférait de toutes manière souffrir seul plutôt que de s’ouvrir, même à un proche, si on considérait qu’il lui en restait ne serait-ce qu’un seul après son départ de Rouen. C’était peut-être une mauvaise chose, mais il était trop égoïste pour partager le souvenir de Mathilde avec qui que ce soit. Sauf si qui que ce soit avait de très jolis yeux et insistait beaucoup. Enfin, non. Trois échecs, déjà, il avait trois fois bafoué ses convictions. Il n’allait pas remettre cela aussi facilement, cette fois. Maudit nom; son père aurait pu s‘appeler autrement. Il y avait tant d‘animaux sur terre. Fallait-il que ce fut celui que Dante associait à la luxure? Ce foutu démon qui le suivait pas à pas?

« Pour être plus terre à terre, reprit-il avec plus d’assurance, affrontant cette fois le regard de la comtesse en face, c’est un pays magnifique, doté d’une telle multitude de paysages que tous les nommer viendrait presque à décrire huit autres contrées. Les gens que j’aie pu y côtoyer m’ont donné une haute opinion de l’homme de France, mais je suppose qu’il est dur d’être objectif lorsque l’on laisse toute notre famille et ce qu’elle comporte de trublions pour un lieu étranger ou l’on peut enfin choisir qui on fréquente. »

Oui. Plus de parents et frères sans intérêt, plus d’Ettore, plus de Di Lorio, plus de fâcheux en tous genres. Certes, les De La Fresnes avaient leur lot d’importuns, mais c’était des obligations que l’on fuyait bien plus aisément. Et Mathilde n’avait jamais été la coqueluche de ces gens là. Elle était trop marginale pour les fats et les bien-pensants répugnants. On s’ignorait les uns les autres, c’était parfait. Quant aux de La Fresnes eux même, c’était tous des gens charmants. Le changement avec Florence avait été des plus perceptibles, à n’en pas douter.

Ils arrivaient au palais. La servante partie, le concert était, bien évidemment, reporté à plus tard. Danilo et Brunilde se séparèrent, chacun retournant dans sa suite respective pour se préparer au bal. La rencontre s'était révélée finalement assez plaisante, finalement. Pas dans le sens ou il l'entendait premièrement, mais ce n'était pas forcément un mal.


[La petite allée aux lions de pierre]
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