Premier post du Jeudi 5 Mars 1744
Le serpent fonçait tout droit, à travers les herbes hautes, grimpait sur les rochers, ignorait les lois élémentaires de la Nature, glissant plus vite qu'aucune autre bête ne pourrait jamais le faire. Il était un animal divin, une de ces déités antiques, un Dieu qui aurait changé de forme, bien décidé à aller bouleverser le monde des hommes à coups d'actes épiques et sensationnels.
Tiberio Adorasti dégustait un encas en haut d'une falaise, observant un décor sans limite, sans horizon, capable de voir les moindres détails du Monde à ses pieds. Le cousin du Prince, devenu depuis Dieu des Hommes, était trop occupé par le décor et la nourriture, il ne vit pas venir le serpent.
Ce dernier lui sauta à la gorge, et planta ses crocs en plein dans sa trachée. Tiberio n'arrivait plus à respirer.
A peine une seconde après, sans avoir bien compris ce qui c'était passé, et toujours sans pouvoir user de ses poumons, le pauvre homme découvrit que le reptile lui grimpait désormais dans la bouche. Il se faufila dans sa gorge, et descendit dans son estomac.
"Beuh...?"
Lentement, Tiberio Adorasti entrouvrit les yeux. Il les cligna quelques fois, puis pensa soudain à respirer. Le courant d'air qui s'engouffra par sa bouche lui parut salvateur. Il put se mettre à réfléchir.
Déjà, le rêve commençait à s'effacer. De quoi avait il été question? Il se souvenait vaguement qu'il finissait par mourir (il avait d'ailleurs l'impression d'avoir eu droit à un décès particulièrement horrible), qu'on le tuait. Mais il y avait quelque chose d'autre. Le début du rêve lui avait laissé une autre impression. Plus vague, plus agréable. Ca avait commencé par quelque chose de stimulant, d'intéressant.
Tibère se retourna quelques fois dans son lit, encore trop fatigué pour se lever. Le soleil semblait être haut dans le ciel. Avait il manqué le déjeuner? Ha, il espérait ne pas avoir manqué le déjeuner. Pas qu'il ait eu spécialement envie de déjeuner, ça non, il avait un mal de ventre qui l'immunisait contre toute sensation de faim. C'était plutot qu'à chaque fois qu'il ratait un repas, il risquait les réprimandes de son cousin. Et il n'aimait pas les réprimandes de son cousin.
D'un autre coté... Il était dans un état tel qu'il aurait été pour lui bien difficile de se reveiller plus tot. Sans ce rêve, sans doute aurait il continuer à (mal) dormir jusqu'au crépuscule.
Lentement, avec plus de difficulté qu'un vieillard aux articulations en miettes, il se redressa, et s'assit sur le bord de son lit. Il se passa deux doigts sur les tempes, et se massa un peu en grimaçant. A quelques mètres de lui, au milieu des bouteilles vides, se trouvait un pichet de vin encore à moitié plein. Il fut tenté.
Cinq minutes plus tard, après avoir pesé le pour et le contre dans ses moindres détails, le cousin du prince se décida à se lever. Le pas trainant, il se dirigea vers les commodités, ou il soulagea (longuement) ses tripes gonflées et endolories.
Après quelques rots, et s'être gratté partout ou le besoin s'en faisait sentir, le Noble partit faire sa toilette. Il lui fallut une bonne heure supplémentaire, il ne se sentait pas l'ame d'agir en vitesse. Aujourd'hui, il irait doucement, seul ce rythme là lui conviendrait.
Pour choisir ses vétements, il faillit s'arracher les cheveux, et prit une autre bonne demie-heure.
La journée commençait mal. Il avait ce sale gout dans la bouche, celui des mauvais jours, et ce mal de crane, celui des mauvais jours. Sans compter sur ses dents (qui, dans les mauvais jours, devenait trop sensibles au froid) et son dos (qui lui tirait dans le bas, puis même dans le haut, caractéristique des mauvais jours).
Les yeux encore mi-clos, les dents sérrées et la bouche entrouverte, il quitta sa chambre. Il était d'une grande humeur. Prêt à changer le monde. Par exemple, en y mettant le feu.
[Ca'Adorasti - Le Grand Salon.]
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